Respecte ta mer

Interview Bertrand Coty

Philippe Metzger, vous publiez aux éditions CENT MILLE MILLIARDS, Respecte ta mer. Pensez-vous que la mer n’ait pas la considération de nos concitoyens aujourd’hui et pourquoi ?

Éric Tabarly disait, avec un certain cynisme, que la mer est ce que les Français ont dans le dos quand ils sont à la plage. Ce constat est malheureusement toujours applicable. Comment, dans une offre informative pléthorique, traiter de l’univers maritime avec un peu de pédagogie ? On ne parle pas des trains qui arrivent à l’heure, et nos dirigeants n’ont pas encore intégré que la moitié de la population française vit dans les 30 départements littoraux sur les 100 préfectures que compte notre pays.

Il manque une véritable politique maritime, et un engagement budgétaire fort pour que le secteur maritime prenne enfin la place qui lui revient dans un pays où la longueur de la côte est largement supérieure à celle des frontières terrestres. Et ce n’est pas avec un secrétariat d’État doté de 250 millions d’euros de budget, un pansement sur une jambe de bois, que nos dirigeants montrent l’intérêt qu’ils y portent.

Il existe aussi un vide immense en matière de vecteurs de communication vers le grand public. Depuis la disparition de l’émission de télévision Thalassa, rendez-vous hebdomadaire entièrement consacré à la mer durant 30 ans, la culture maritime s’étiole dans des faits divers sans conséquences. Le monde de ses acteurs en est pour une grande partie responsable, car il tourne sur lui-même au lieu de promouvoir le fait maritime à un niveau national.

L’espace maritime français représente le 2e espace au monde de par sa zone économique exclusive (ZEE). La France est-elle selon vous une puissance maritime qui s’ignore ?

La notion de puissance quelle qu’elle soit dépend d’une multitude de facteurs qui ne peuvent se résumer à, en l’occurrence, un critère géographique. La ZEE de la France constitue un élément de sa maritimité, tout comme d’autres caractéristiques économiques du maritime et perspectives de développement. En 2022, l’économie maritime française représente 3,8 % du PIB, avec 388 000 emplois directs auxquels s’ajoutent près de 800 000 indirects et saisonniers. Ce sont des chiffres supérieurs à ceux de l’industrie de l’aéronautique et pour partie à ceux du luxe. Ils sont peu connus et pourtant pèsent dans l’économie nationale.
Une telle ZEE demande par ailleurs des moyens de surveillance et de contrôle. Or, nos flottes institutionnelles sont squelettiques pour assurer une telle mission avec efficacité sur un territoire de 11 millions de km2, plus grand que la Chine.

À cet égard, les données géo-stratégiques de certaines régions maritimes du globe montrent que la conquête territoriale subsiste et que les espaces maritimes en sont aujourd’hui des enjeux primordiaux.

La France a donc des arguments pour peser sur un plan international et prétendre à une « puissance maritime ». Mais comme le disait Richelieu : « Les larmes de nos souverains ont le goût salé de la mer qu’ils ont ignorée. » Rien n’a changé.

Quel en est l’enjeu écologique ?

Il est important et de plusieurs ordres.
D’abord on ne connaît que 10 % de la biodiversité marine. Dans un espace colossal que sont les océans, couvrant 70 % de la surface de la planète sur une épaisseur moyenne de 3 800 m, la tâche est titanesque. Ce volume absorbe plus de 1/3 du CO2 émis.

Ensuite, les ressources maritimes présentent des opportunités fondamentales. Les énergies marines renouvelables, les algues et microalgues, le biomimétisme, pour ne citer qu’eux, vont apporter des réponses environnementales pour notre civilisation dans les 10 à 20 ans qui viennent. Par exemple, le potentiel d’énergie électrique que recèlent les océans est de l’ordre de 5 fois la production annuelle mondiale d’électricité.

Le transport maritime qui représente les 9/10 des échanges commerciaux mondiaux doit réduire ses émissions polluantes qui sont aujourd’hui de 3 % de l’ensemble global. Mais aucune instance internationale n’a autorité pour imposer une politique rationnelle et efficace pour y remédier : l’Organisation Maritime Internationale propose des recommandations qui peuvent, éventuellement, être reprises par les États. La décarbonation de cette activité est vitale.

Protéger la ressource halieutique constitue un devoir. Or la pêche évolue, car l’aquaculture est aujourd’hui à niveau équivalent de production de la pêche traditionnelle à l’échelle mondiale. Il va être intéressant d’observer l’inversion de tendance qui se profile et d’étudier à court terme comment la pêche intensive va diminuer.

Enfin, l’évolution climatique fait des océans à la fois un atout et un danger. Un atout, car un tel espace est un régulateur incontournable par les vents et les courants marins de surface en particulier. Mais l’augmentation de chaleur fait monter le niveau de l’eau, ce qui présente un risque pour les populations littorales.

Comment faire de cet espace une chance pour la France et plus largement pour l’humanité ?

Puissances commerciale, économique, maritime ou militaire me paraissent des approches obsolètes. Il conviendrait aujourd’hui de réfléchir à un concept plus ouvert de puissance environnementale. La mer couvrant plus des 2/3 de la planète serait un pilier de cette démarche, d’autant que 150 pays sur les 193 enregistrés à l’ONU sont côtiers. La France serait légitime à en prendre le leadership.

Auparavant, il me paraît indispensable de revoir la gouvernance de la mer au plan national. Le système actuel repose sur des textes datant pour la plupart du 20e siècle. Il est temps de réorganiser et de rationaliser le mille-feuille administratif et de faire du maritime un enjeu majeur. Tant l’organisation que son financement sont nécessaires pour établir une politique maritime durable afin que l’ensemble des acteurs puissent avancer avec efficacité et confiance.
Ensuite, une autorité internationale devrait être instaurée. Elle serait indépendante de l’ONU et pourrait émettre des obligations et non des recommandations comme aujourd’hui.

Dès lors, il serait possible de définir une politique globale pour la préservation et la régulation de tous les océans et mers du monde. Je suis convaincu qu’une telle organisation serait un facteur de paix.

Avenir a pour anagramme « navire ». Nul doute que le futur de l’humanité sera maritime.

éditions Cent Mille Milliards

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